« Les poètes que nous chantons, qu’ils soient algériens, belges, camerounais, chiliens, français, marocains, portugais, sont porteurs d’une parole libre, critique et fraternelle sur notre histoire, sur nos espoirs. »
Les larmes volées de Gabriel
De Lubumbashi à Bruxelles, la narratrice raconte la course flamboyante de son ami congolais. Elle dit le désir, la quête inassouvie, les blessures dissimulées sous le rire et l’autodérision. Au-delà du vol d’une enfance, sa parole témoigne du vol d’une culture. Un texte percutant, bouleversant. La question du passé colonial m’a incitée à évoquer des blessures invisibles, voire indicibles. Anne Fievez a écrit notamment Ouvrir la porte et sortir d’une dépendance, un essai sur les effets curatifs du son, de la musique et la pratique vocale.
https://www.youtube.com/watch?v=u9W8sZVsWB4
Entre deux mères
Anne Fievez Ben Lakhdar
Arrivée du Pays des Collines, Anne entre à l’école primaire à Bruxelles en 1959. Elle rejoint alors la maison familiale, une rencontre difficile. Anne ou « Annabel » pour ses amis rebelles, prend ses distances dès l’adolescence. Elle rencontre Abdel Kader. Il habite au quartier ‘Chicago’ avec ses parents, des travailleurs marocains. « Il a derrière lui un pays de lumière et dedans une grosse nostalgie. Nous avons le même âge et le temps en partage. Je rencontre Fatouch, sa maman. Elle m’ouvre sa porte, sa table, son cœur. En été, nous allons dans sa maison à Tanger, parfois dans le Rif. […] » C’est l’histoire d’une rencontre avec une mère, quand la langue a le goût de la peau. La naissance, c’est quand le désir fait jour, que le sens émerge et que la mémoire a un futur. En hommage à Fatouch et à tous ceux qui ont quitté leur terre pour vivre mieux, ce récit avec l’accompagnement musical de Pierrot Debiesme.
Au fil du chemin
Sons et Rythmes
Assise
dans les hautes herbes, une petite fille écoute la vie.
Bruissements, respiration, chant. Terre, ciel, pluie, vent, cailloux,
ruisseaux, insectes, oiseaux. Promesse.
Elle apprend le cycle
des jours et des nuits, le rouge des groseilles, le vert des chemins,
les arbres aux bras grands ouverts.
La parole est rare dans le
hameau du Pays des Collines. Juste la TSF, midi et soir et des voix
qui s’impriment dans sa mémoire : Trenet, Piaf, Mouloudji,
Gréco, Bécaud, Nougaro
(Ksar)
Chanter : tenir debout, tenir des bouts de soi…
Anne passe les 6 premières années de sa vie à la campagne, seule avec sa grand-tante, le mari de celle-ci ayant été tué en mai 40. La petite fille grandit entre récits d’exode, d’occupation, photos de disparus et plages de silence.
L’évocation
de la guerre mobilise chez elle une énergie singulière.
« Les
hivers brumeux, j’ai peur des Bosch,
je les imagine planqués derrière les arbres, ils m’observent, me
surveillent. Dès que je mets les pieds dehors,
je chante pour signifier mon innocence. Chanter
pour dépasser la frousse et détourner la menace. Chanter
pour assurer la vie »
En 1982 elle écrira :
Nous
avons la guerre dans le ventre,
le ventre en grève et des
milliers de maux,
des milliers de misères et des milliers de
guerres,
guerre, mon frère.
Derrière
un mur, j’voudrais trouver mon frère.
Il me regarde mais
qu’est-ce qu’il veut me faire ?
Il veut me prendre, il
veut m’étendre,
j’vais lui donner mon ventre ?Faut que
je marche droit, que je sois facile,
Que je sois docile, que je
ne sois personne.
Son arrivée à Bruxelles, dans la famille en 1959 est brutale. Deux mondes vivent en elle, séparés. Et un goût d’exil. Mais des voix l’ensoleillent : Claude Nougaro, Juliette Gréco et Jacques Prévert!
Ma
tête est oiseau, mon
corps est taureau
Suis
fait moitié- moitié, d’esprit et de peau
La terre c’est
mes souliers, le ciel mon chapeau
Venez à moi, venez par
milliers.
La terre et le ciel, on va les marier.
Vous
verrez, l’amour, c’est pas sorcier… C.
Nougaro, L’amour
sorcier
Lorsqu’elle est seule, Anne reprend sa chanson à tue-tête comme une prière à danser.
Je
mettais mes pieds dans les souliers du chanteur
et il soufflait
sur mes os d’enfant.
Je les ramassais, les rassemblai pour me
mettre debout.
J’étais en marche, sur le sol devenu
tambour
et je faisais résonner ma cage en os. »
Hommage
Nougaro
Une chanson vient confirmer l’existence d’un pays intérieur où douleur et lumière coexistent.
Sur
la place où tout est tranquille,
Une fille s’est mise à
chanter
Et son chant plane sur la ville
Hymne d’amour et
de bonté
Mais sur la ville il fait trop chaud
Et pour ne
pas entendre son chant
Les hommes ferment leurs carreaux
Comme
une porte entre morts et vivants
Ainsi certains jours paraît
Une
flamme en nos cœurs
Mais nous ne voulons jamais
Laisser
luire sa lueur
Nous nous bouchons les oreilles
Et nous nous
voilons les yeux
Nous n’aimons pas les réveils
De notre
cœur déjà vieux. » Brel,
Sur
la place
En
balade
A 14 ans, elle sort des sentiers battus, fait l’école buissonnière et donne ses premiers concerts dans la rue. En 1967, son répertoire est constitué de ballades folk, protest songs et chanson française: Joan Baez, Barbara, Brassens, Anne Sylvestre.
Des amis portugais, déserteurs de la guerre coloniale, lui font connaître José Afonso et Luis Cilia dont elle reprend des chansons engagées.
Elle découvre Vinicius de Moraes, Gilberto Gil et la bossa-nova ainsi que Violeta Parra et la nouvelle chanson chilienne.
Anne écrit ses premières chansons dans la région de Tanger au cours des années 70. A l’écoute des groupes marocains Nass El Ghiwan, Lamchaheb, Jil Jilala et des poètes Abdellatif Laâbi, Ahmed Bouanani, elle puise un souffle nouveau, chante la vie de tous les jours et celle des amis dont la chance qui balance entre Tanger et Bruxelles.
Abdel Kader habite avec ses parents au quartier Chicago. Sa vie n’est pas rose non plus ! Il a derrière lui un pays de lumière et dedans une grosse nostalgie. Je rencontre Fatoch, sa maman. Elle m’ouvre sa maison, me donne sa force. En été, nous allons à Tanger, parfois dans le Rif.
Je rêve d’écrire un jour : « Je suis née à Tanger quand j’avais 20 ans ». Ce serait l’histoire d’une rencontre avec une maman berbère, quand la langue de la mère se mange, se respire. Quand le langage a le goût de la peau. Ma naissance, c’est quand le sens émerge, que le désir fait jour et que la mémoire a un futur. Raconter l’histoire d’un manque et tisser un berceau de mots. Je décide de reprendre des études. Extrait : Entre deux mères
Se poser et apprendre
A
Bruxelles, Anne reprend des études, elle devient professeur de
français et exerce dans l’enseignement technique, professionnel et
général.
A partir 1977 s’initie aux diverses disciplines du
corps et de la voix.
Elle
s’engage dans le travail du masque avec Guy Ramet (I.A.D) puis avec
Laura Sheleen dont la recherche, le Théâtre
Archétypal,
constitue une voie royale vers l’inconscient et le développement
de la personne.
Elle
explore sa propre voix
avec
Kaya Anderson (Roy
Hart Théâtre),
elle expérimente le lien profond et archaïque entre corps et voix.
L’extension
de notre registre vocal nous ouvre à notre monde mythologique nous
dit
K.
Anderson
Raconter
Elle
voyage entre chants et contes aux côtés du chanteur kabyle Hamsi
Boubeker.
Le monde berbère laisse découvrir en elle une source
qui relie à l’essentiel.
Elle écoute Aït Menguellet, Idir,
lit Taos Amrouche, Mouloud Ferraoun, Mouloud Mammeri et aussi Aimé
Césaire, Franz Fanon, James Baldwin qui disent l’homme dans son
lien au monde, sa quête de justice, de paix, de liberté.
«La
poésie est un appel qui retentit longuement dans la nuit et qui
entraîne peu à peu l’esprit vers une source cachée, en ce point
du désert de l’âme où, ayant tout perdu,
du même coup, on
a tout retrouvé » Jean
Amrouche
Anne
s’interroge sur
l’acte de parole, acte fondateur du sujet.
Elle
se forme à l’art du conte et du conteur avec Myriam Mallié,
ensuite avec Hamadi.
Elle
mène avec ses élèves des ateliers « Corps,
masques et parole ».
La parole contée ou chantée se veut transformatrice, guérisseuse,
tisseuse de liens et de mémoire.
Chanter
Début
80, elle entre à l’Ecole de la Chanson française fondée par
Angèle Guller.
Elle assiste au nouveau cours d’Arnould
Massart : l’énergie
du rythme.
Enfin,
action, sensation et réflexion trouvent droit de cité dans un
processus d’apprentissage ! Elle se sent à sa place.
Auteur et interprète, elle chante dans les cafés-théâtres bruxellois, la Soupape, l’Os à moelle, l’Escapade, le Botanique, la Fondation Brel et des festivals de chanson française.
Catherine Degan écrit dans Le Soir à son sujet : Une sensibilité à fleur de peau et à fond de ventre, une écriture d’une précision sereine, une autorité en demi-teintes qui l’apparente à une Anne Sylvestre d’aujourd’hui, nouvelle femme et fière de l’être.
Elle
se produit en co-plateau avec le chanteur auteur-compositeur Thierry
Hodiamont.
Anne,
c’est l’eau et le feu, la douceur et la force. Elle fait des
chansons comme un enfant un collier de coquillages : elle ne
‘prend’ pas les mots, elle les appelle et ils viennent :
simples, lisses et toujours neufs. T.
Hodiamont
Elle
chante dans The
Eddy Goes Crazy Funk Band »
du pianiste de jazz Eddy Lozen.
Au
cours des années 90, elle s’initie au jazz
vocal
avec
Christine Schaller et la chanteuse brésilienne Monica Passos.
Elle
chante dans Jojoba
-
jazz brésilien et le quatuor vocal Terra
– chanson
populaire brésilienne.
Elle suit le cours de Garrett List et obtient en 1997 un premier prix d'improvisation au Conservatoire Royal de Musique de Liège. Tu as quelque chose de spécial avec le français, chante dans cette langue ! G. List
Transmettre
Formatrice
dans le domaine de la voix, Anne travaille sur la
relation corps, voix et histoire émotionnelle. Elle
suit la formation
de François
Combeau Développement
somatique à travers les mouvements du corps et de la voix,
inspirée de la méthode Feldenkraïs.
Elle
organise au lycée un
cours de Grammaire
corporelle et vocale pour
les élèves en échec scolaire. Il s’agit de réconcilier l’élève
et la parole, de se réapproprier sa matière première et visiter
des parts de soi demeurées en exil. Laisser la place à une
véritable parole de sujet avec laquelle se construire.
En 2005, elle s’initie à l’Utilisation et pratique des sons et chants sacrés inter-traditions dans le cadre de la santé et de l’éducation avec Pat Moffit Cook, fondatrice de l’Open Ear Center. Elle anime depuis un atelier de chants et sons sacrés: le Jardin des sons
Le « Tout monde » (notion d’Edouard Glissant)
Invitée
à chanter au Festival
MATA
dans le nord du Maroc en mai 2011, elle rencontre le guitariste
Pierrot
Debiesme.
Ils ouvrent un répertoire où chant, musique, poésie, récit
s’interrogent et interagissent autour d’auteurs d’ici et là :
Jose Afonso, Brassens, Bruant, Abdellatif Laâbi, Rachida Madani,
Nougaro, Verlaine, Sony Labou Tansi, Taganta Mani,…
En 2013,
ils fondent le Vayu
Projet
qui se produit en duo et en quartet.
Vayu, nom sanscrit qui signifie vent, air, souffle des dieux.
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